UNA TARDA AL BAR PASTÍS (UN SOIR AU BAR PASTIS)

Texte et Musique : Miquel Pujadó

Un soir au bar Pastis (1)

voilà que je noyais le plafond gris

de Barcelone

dans la voix de la Piaf

qui m’entourait comme une vapeur

depuis un bon moment.

Et avec un rire tordu

je m’amusais en imaginant

qu’au moment de traverser à nouveau la porte

je me trouvais par surprise dans la rue d’Ménilmontant.

Alors, pas à pas,

je suivais mon nez

avec discipline,

en arpentant un boulevard

et en obéissant si le vieux Montmartre

me disait “Viens!”

Saturé de parcimonie,

sans faire de cérémonies,

mon cul embrassait un banc

et, les yeux fermés, j’entendais

la mélodie silencieuse

du sang qui coule lentement.

Une feuille folichonne

captivait mon regard

pendant quelques instants éternels

et fondaient comme du beurre les grilles de mes

enfers.

Je voyais un monde bien plus réel

que les emmerdements de quatre sous

qui me font ici la gueule,

me cassent la figure

et me tiennent par le cou

comme si j’étais un navet.

Avec la lune, je reprenais

à nouveau mon chemin.

Je marchais doucement

et m’arrêtais toutes les passes pour choisir mon destin.

Comme celui qui cueille des lilas,

en passant je prenais le bras

d’une fille,

et nous montions par des ruelles

en oubliant les mots au fond

d’un puits de joie.

Pour goûter au petit matin,

nous garions nos os

à la table d’un bistrot,

et nous assaissonions les baisers

avec des bouteilles qui se vidaient

et avec un soupir d’accordéon.

Jusqu’à ce qu’au milieu d’une mélodie

ne se mêlent avec traîtrise

quatre vers d’Espriu (2).

Alors, à cheval d’un morceau de cantique (3), je

retournai illico chez moi.

En poussant le noir battant,

je me laissai emporter par le vent

qui jamais ne se fatigue,

en remontant la Rambla, avec l’humidité

comme écharpe, et bercé

par la nostalgie.

La ville, pourtant, me souriat

de l’eau d’une flaque

sans rancune, sans me faire la gueule.

Quand je pense qu’il y avait seulement quelques

heures je ne

pensais qu’à la laisser tomber!

Un soir au bar Pastis

je me sentis heureux

pendant quelques instants,

tout en sachant au plus profond de moi

que je ne peux pas, que je ne ne veux pas,

fuir Barcelone.

 

(1) Petit bar, tout près du port de Barcelone, où on

entend toujours des chansons de Piaf, Brassens, Brel,

etc.

(2) Salvador Espriu, un des plus grans poètes catalans

du XXème siècle

(3) “Assaig de càntic en el temple”, poème très connu

où Espriu parle de l’impossible fuite “vers le Nord,

là où on dit que les gens sont cultes, livres,

éveillés et heureux”.

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