La verte fosforescence / qui habite dans les yeux des félins / contient des arcanes que tu peux, si tu es prudent, / toucher du bout des doigts. / Il n’y a eu qu’un homme assez savant / pour y pénetrer vraiment. / Il rumbait en clé de lune / quand la nuit appellait les chats / et pinçait, une à une, / leurs sept vies, des fois qu’une d’elles / serait mal accordée. / Il rumbait en clé de lune / et répandait ses miaulements / par les banlieues et par les toits / comme celui qui expose des données / qui, une fois analysées, / équilibreraient et joies et peines. / Il s’est fait tatouer l’ironie / sur ses griffes et ses crocs, / mais des pellicules de mélancolie / le protégeaient, loyales, / du cru rire qui avance / lorsque la nuance fait un faux serment. / Il rumbait en clé de lune / en suivant le rythme intense / que la ville tiède et brune / offre sur les décombres / à ceux qui ne sont pas des moutons. / Il rumbait en clé de lune / et il apprenait par les coins / mille histoires sécretées / par des rues, des bars et de regards / et qu’il nous rendait parfois / transformées en chansons / Il n’était pas caló (2), mais il savait / voyager sur le dos du vent / pour éprouver la nostalgie / d’un pays inexistant. / Il n’était pas caló et le savait, / mais il était un paio (3) chipén (4) / Il rumbait en clé de lune / en évitant les crocs du chien / et il nous livrait le vaccin / le plus simple et opportun / contre la haine et la peur. / Il rumbait en clé de lune / et il s’est risqué à bondir / d’une terrasse jusqu’à Selène / une nuit qu’elle était pleine, / en s’arrachant les chaînes / qui le tenaient lié à un monde malade. / Il rumbait en clé de lune / et pour beaucoup d’entre nous, il continue à le faire / tandis qu’il ne soit pas guéri, / un certain coup de griffe / qui nous fait mal jusqu’à l’échine / et nous force à nous souvenir de lui.
(1) Chanson pour “Gato” Pérez, ACI argentino-catalan amoureux de la rumba catalane, mort en 1990 à 39 ans. (2) caló: gitan. (3) paio: non gitan. (4) chipén: en caló, “comme il faut”.