INDOCÈNCIA (*)

Texte et musique : Miquel Pujadó

I. Rien qu’en voyant le corps blond et mince / qui monte sur l’estrade / alors que retentit la sonnette du cours, / il frissonne / un peu à l’avance, / en pensant que losqu’elle se penchera sur lui / pour lui demander la leçon de demain / elle frottera sans doute / (sans le vouloir, bien sûr, accidentellement) / un sein adolescent / contre son bras de trente ans bien sonnés. / Alors, reluisants, / ses petits yeux coquins le regarderont. / (Quelqu’un y lira / un brin de naïveté. D’autres, l’éclat / de l’impudence.) / Et, tout en posant des questions sur le banal / syntagme nominal / avec une voix qui ressemble à une flèche / qui vise à la braguette, / de son regard en feu s’écoulera / comme tous les jours / le message muet, pas subliminal pour un sou: / “N’acceptes-tu un cadeau?” / II. Héritier du mai heroïque et un peu fané / de 68, / un autre mai, alors qu’il finissait son bac, / il fit le 69 / avec une militante d’extrème-gauche / nymphomane sur les bords / et qui lui parlait entre deux étreintes / du Che et d’un nommé Grimau. / Quels temps heureux, vécus en clé d’orgasme / courant devant les flics, / en faisant des bras d’honneur aux dieux et aux militaires, / en nageant dans toutes les mers, / en faisant mille morceaux de la famille et de / la morale bourgeoise, / tandis qu’on ravivait le monde avec les éperons / de l’imagination…/ Il ne comprend pas comment a-t-il arrivé à être attelé / face à ce troupeau de mômes conformistes et ennuyés, / séniles comme des vieux flétris, / en faisant mine de respecter les conventions, / en mettant des capotes aux mots / et en se forçant à se refroidir les dessous / par peur du code pénal. / III. Tout d’un coup, il se décide: la syntaxe / le ménera à la praxis. / La copule et le complement érecte / sont le correct chemin / pour remplir avec des histoires infaillibles / les feuilles disponibles / d’un cahier qui ne demande qu’à être étrenné / par un auteur inspiré. / De tout ce dont Salvat (**) faisait des chimères / il en fera des bandaisons, / en s’assumant comme Pygmalion. / En fait, un professeur / a le devoir d’ouvrir les yeux à la vie / à celle qui, endormie, / attend le bras qui doit  l’entraîner / avec force vers l’avenir. / Tout ça, ce sont peut-être les excuses d’un vieux vert, / mais dites-moi qui est capable de manquer / un shoot de jeunesse dans la veine / tout en lui tournant le dos… / N’accablez pas avec des blâmes et des soupçons / le pauvre p’tit prof: / Sûr que plus d’un d’entre vous mettrait les couilles au feu / pour occuper sa place!


(*) Jeu de mots entre indécence et docència (la profession des enseignants). (**) Joan Salvat-Papasseit (1894-1924), poète catalan ami des rêveries érotiques qui se voulait “maître d’amour”.

Comments are closed.