Texte et Musique : Miquel Pujadó
Je ne fumais qu’avec toi: / c’était une habitude, un rituel. / Quand je m’en souviens, j’en profite / pour évoquer ton corps brun. / Que tu le veuilles ou non, / toute la fumée de la mémoire / dessine nostre histoire / avec des tourbillons délicats. / Une fumée qui s’est déjà dissipée / mais qui irrite toujours les yeux / et qui nous offre / l’antidote contre l’oubli. / Il y a longtemps, la nicotine / entourait, maternelle, / nos rages de dents / ainsi que nos nuits les plus cristallines. / Et, dans ce bistro du Quartier Gothique / ou dans n’importe quelle autre cachette, / elle nous isolait du ramdam / avec son manteau hypnotique. / Moi, je t’offrais de la tendresse, / et tu me donnais du tabac, / jusqu’à ce que je devenais ivre / avec un mininum de bière / tout en savant que, rien que par la braise / de tes lèvres où je buvais, / par moments je devenais / un fumeur passif. / Je participais légèrement / de ton cancer du poumon / que le son du briquet / présageait intermittent, / et ce “clic” si spécial / et l’odeur d’essence / m’étaient la meilleur aspirine / quand j’avais mal à la vie. / Ta main dans l’une de mes mains, / avec l’autre je manipulais / le cylindre, / et je déconnais, / tot en croyant philosopher. / Et s’entassaient / les jours et les erreurs, les années et les mensonges. / Je croyais savoir ouvrir tes serrures / mais c’était toi qui ménais la danse, / jusqu’au soir où tu m’as jeté / hors de ta vie / avec l’indolence ennuyée / de celui qui vide un cendrier. / Ne crois pas que je te mens: / aujourd’hui, aucun obstacle / ne m’a empêché d’entrer au bureau de tabac / par première fois, / impérieux comme un pontife. /Pas pour acheter des timbres / mais, sur un coup de tête, / un paquet de cette marque-là. / En sortant du métro Fontana, / soudainement le silence / de la nuit a été blessé / par le bruit de la cellophane. / J’ai allumé une cigarrete / pour la fumer au coin de rue / où nous avions l’habitude de nous voir / quand ce planète tournait. / Et, tressés avec la fumée, / j’ai avalé tes yeux, / ton sourire, et les boucles de tes cheveux. / Et j’ai continué comme ça / jusqu’à la dernière bouffée, / où j’ai cru te sentir toute entière / qui me brûlais de l’intérieur. / J’ai laissé alors tomber / le mégot au sol humide / et je suis resté extasié / une minute ou deux heures / en regardant sans rien dire / et avec l’air absent / comme ce petit point rouge / agonisait lentement. / Et, avant que la dernière / effilochure n’eût disparu, / j’ai cru voir mon coeur / s’éteindre à tout jamais